Festival d'Avignon 2016 Théâtre des Lucioles 20h45
Texte Alain Guyard
Mise en scène Emmanuel Besnault
Collaboration artistique et lumières Cyril Manetta
Interprètes Flavie Avargues, Jean-Marc Catella, Jacques Dau, Guillaume Lançon, Sylvain Seguin
Costumes Sarah Colas
Assistante mise en scène Denyz Türkmen
Topo, photos et teaser, c'est ici : http://www.monsieur-max.fr/portfolio/la-bande-a-bonnot/
La Provence / 23 juillet 2016
L'histoire des anarchistes d'une époque à voir jusqu'au 30 juillet au Théâtre des Lucioles
En 1911, en réponse à l’exploitation et la misère du peuple,
résultats des excès de l’industrialisation, certains anarchistes
choisissent la lutte armée. La bande à Bonnot est de ceux-là, et suscite
la peur et la haine par ses attaques se soldant toujours par des
meurtres.
Alain Guyard a choisi de raconter cette "tragédie
populaire", refusant que les tragédies soient l’apanage des princes et
des dieux. Tout se passe dans l’atelier de Victor Serge, pendant les
jours où il a hébergé des membres de la bande. On assiste à la dérive de
ces hommes, qui étaient partis pour protéger le peuple mais finissent
par tuer sans discernement ; qui étaient contre le capitalisme mais
gardaient ce qu’ils volaient ; qui n’étaient pas solidaires, mais
étrangers entre eux, chacun perdu dans ses problèmes, ses délires.
Jusqu’où
peut-on aller pour défendre ses idées ? La dérive est-elle inéluctable ?
Ces questions et quelques autres sont celles que nous proposent ce
spectacle prenant, porté par 5 formidables comédiens.
Notre avis : On aime.
M.C.B
Le Bruit du Off / 17 juillet 2016
La Bande à Bonnot ! Le titre de la pièce renvoie
inconsciemment à une multitude de clichés populaires, allant du
pittoresque au terrorisme le plus violent en passant par l’engagement
politique, l’idéologie anarchiste, le crime…
Au-delà de l’Histoire, l’imagination populaire en a fait tour à tour
le symbole de l’horreur et du crime ou celui du mouvement anarchiste de
ce début de vingtième siècle à la recherche d’un idéal.
Le texte d’Alain Guyard est loin de tous ces poncifs, loin des faits
historiques ou des actes criminels qui sont tout juste évoqués. Ce sont
les hommes qui comptent, leurs blessures, leurs tourments, leurs
contradictions, leurs rêves d’Absolu.
Car cette Bande n’est pas si soudée que ça. C’est la rencontre
hasardeuse, autour d’une utopie fascinante, d’hommes mus par des
motivations complexes et différentes.
Jules Bonnot, interprété avec nuances par Jean-Marc Catella, apparaît
comme un homme tourmenté, malheureux dans la vie, chef de bande malgré
lui et pris dans une spirale de violence autodestructrice. L’engagement
politique et l’idéal libertaire paraissent passer au second plan.
Les autres membres de la « bande » croient tous en un monde meilleur
mais leurs moyens et les voies pour y parvenir sont différents. L’un,
dit « Raymond le Science », interprété par Sylvain Seguin, aborde
l’anarchie par la littérature, les mots et les idées. L’autre, Octave
Garnier, interprété par un Guillaume Lanson inquiétant et fanatique,
croit en un idéal généreux qui ne se gagnera que par la violence.
En marge de la bande, Jacques Dau interprète un journaliste
anarchiste, défenseur de la liberté, solidaire par les idées mais qui
désapprouve les méthodes.
Sa compagne, interprétée par Flavie Avargues, est une figure de proue
du mouvement anarchiste, féministe avant l’heure. Elle sera la seule à
écrire ses mémoires « Souvenirs d’Anarchie » et à survivre jusqu’en juin
1968 pour assister avec étonnement, sans doute avec un brin de
nostalgie, au fait que le grand amphi de la Sorbonne soit rebaptisé «
Jules Bonnot » en mai.
La mise en scène est efficace et les acteurs convaincants. Le décor
laisse transparaître le monde extérieur mais enferme les personnages
dans un huis-clos étouffant face à leurs contradictions, dans des
dialogues intimistes ou violents.
Cette pièce résonne étrangement avec les évènements actuels. Quelles
sont les motivations de ces crimes aveugles ? Idéologie politique ou
religieuse ? Croyance en un monde meilleur ? Mal-être et besoin
irrépressible d’autodestruction ? La porte reste ouverte…
J.L.B.
L'Art-vues / 13 juillet 2016
Tandis que l’auteur du texte, Alain Guyard, se prélasse tous les jours
dans les méandres de sa
« philosophie foraine » un verre de rouge à la
main (théâtre Arto à 11h20), Bonnot et sa bande sont au turbin, faisant
trembler à grands coups de pistolet le bourgeois de la belle époque. C
elle
où un capitalisme naissant « boit le sang des ouvriers » selon la
formule anarchiste consacrée. On n’est pas en présence d’une énième
version des Brigades du Tigre mais en plein processus d’individuation de
l’anarchisme. Qui est Bonnot, qui sont ses compagnons, quels sont les
ressorts véritables de leur révolte ? Une voie originale de réflexion
sur l’anarchisme des débuts, menée en De-Dion Bouton sur les chapeaux de
roues par une bande de comédiens surchauffés et dévoués à la cause,
complices d’une mise en scène nerveuse et efficace signée Emmanuel
Besnault . On y retrouve Jacques Dau et Jean-Marc Catella, en cavale de
Sacco et Vanzetti, leur précédent spectacle, mais aussi les excellents
Guillaume Lanson, Flavie Avargues, remarquable, et Sylvain Seguin, très
crédibles dans la peau de personnages aussi attachants que complexes.
Luis Armengol
La Théâtrothèque.com / 12 juillet 2016
La Bande à Bonnot ? L’expression claque comme un coup de pistolet tiré d’un tacot de la belle époque. Un nom entré dans la mémoire collective, la
culture populaire, tel un héros, un guignol échappant toujours au
gendarme. Et pourtant ! Cette pièce le révèle au contraire comme un
homme déchiré par la fuite de sa femme et la perte de son enfant, aux
valeurs anarchistes flageolantes, plein de colère. Un homme qui parcourt
à tombeaux ouverts sa descente aux enfers. Et qui parsème son chemin de
morts violentes, de morts douteuses, de veuves et d'orphelins. Ceux qui
l'approchent ou le suivent n'en sortiront pas indemnes.
Autour de Jules, gravitent Octave Garnier et Raymond Callemin (dit la
science), le noyau dur de la bande. Mais aussi Victor Serge, directeur
du journal L'Anarchie et Rirette Maîtrejean, sa maîtresse qui serviront
de caution intellectuelle à Jules dans le milieu anarchiste, qui le
cacheront aussi au cours de sa cavale, de sa première attaque automobile
de la société générale jusqu'à l'assaut final à Choisy-le-Roi.
Des dialogues secs, serrés entre les différents protagonistes, des
monologues divinatoires et historiques creusent, coup de scalpel après
coup de scalpel, jusqu'à les mettre à nu les fêlures de Jules. Et c'est
une tragédie qui se joue alors sur scène.
Les comédiens, tour à
tour fragiles lorsque plaies et douleurs humaines affleurent, marmoréens
lorsqu'ils endossent les habits de figures tragiques éternelles, sont
excellents. La scène vibre de leurs éclats.
La mise en scène, au décor minimal d'une façade vitrée orientable qui
ponctue chaque épisode de cette aventure, à la lumière crue qui met à nu
les corps, accentue encore ce destin implacable avec une programmation
musicale bluesy et gothique, lourde et moite de désespoir. Tout concourt
à faire de ce spectacle une tragédie intemporelle à ne pas rater.
Geneviève Brissot